Revue lecture #2 : La ballade de Black Tom de Victor Lavalle


Un roman court, fantastique, sombre comme un jour de ténèbre, ancré dans la douloureuse Histoire multiraciale du peuple américain... Voilà ce qu'est La ballade de Black Tom. Je vous parle aujourd'hui de ce livre acheté il y a très peu de temps en flânant chez le libraire et qui m'a marqué comme rarement.

R E S U M E
Musicien noir sans grand talent, le jeune Charles Thomas Tester vivote à Harlem en cette année 1924. Il pousse la chansonnette dans les rues pour un public de Blancs amateurs de jazz, et, à l'occasion, fait des petits boulots. Un jour, il croise le chemin de Robert Suydam, un occultiste qui l'engage pour jouer chez lui contre une somme faramineuse. Pourquoi ? Quels sont les buts de l'excentrique Suydam ? Va s'ensuivre une plongée dans l'étrange pour Tester, qui en sortira changé à jamais.

M O N   A V I S
La ballade de Black Tom est une longue nouvelle fantastique qui m'a totalement surprise par sa noirceur. Par la douleur entre les lignes, par l'air asphyxié de ses mots. A travers Charles, c'est le New York raciste et violent des années 1920 que l'on découvre. Moi qui ne lit jamais de récit sombre et très peu qui traite de la question raciale, je suis clairement sortie de ma zone de confort ici. Je ne le regrette pas même si le voyage a été difficile émotionnellement. 

La nouvelle raconte la perte d'innocence d'un jeune noir américain, au sein d'un environnement sclérosé de racisme et de fatalisme. Le jeune Charles au début téméraire et empli de cette fougueuse jeunesse qui nous fait croire en la vie et en tous les voyages possibles perd peu à peu sa flamme. Un évènement tragique finit de lui faire perdre tout espoir face à cette société divisée et étouffante d'injustice. 

L'ombre qui plâne sur le roman, qui risque d'engloutir tout New Yorf et qui, finalement, est le cœur de l'intrigue fantastique n'est autre que celle du racisme. Une métaphore que l'on comprend au fur et à mesure des péripéties et qui nous prend sévèrement à la gorge. 

Ce qui m'a frappée dans ce roman, c'est la brutalité avec laquelle est rendu, par la simplicité des mots de l'auteur, le quotidien d'un citoyen noir américain dans les années 1920. Les humiliations. Les injustices. Cette indifférence totale face au malheur d'autrui, face à la vie d'à côté, sous prétexte que celle-ci bat sous une peau noire. Etant moi-même métisse, et dans un contexte actuel où la victoire d'une équipe de France métissée fait remonter de vieux relents de racisme, la lecture a été particulièrement difficile mais captivante. 

Finalement, Victor Lavalle se sert magnifiquement du fantastique pour éclairer son propos et alerter la société d'aujourd'hui sur l'indifférence et l'exclusion. Sur le cancer qu'est le racisme pour une société. Il donne une vision toute intime du mal qui est infligé à l'individu lorsqu'on laisse ces maux se répandre dans la banalité. 

Une lecture forte, intense, qui insuffle un souffle de rébellion et de prise de conscience face à des problèmes sociétaux qui sont malheureusement encore d'actualité, notamment dans la patrie de l'auteur. Des personnages qui gardent pour certain une grande partie de leur mystère, on aimerait savoir comment ils en sont arrivés là, on aimerait être éclairé sur certains mystères fantastiques que l'auteur choisit de ne pas expliquer (je pense notamment à la vieille Ma Att). Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce petit roman un grand moment de lecture. Un moment d'une intensité qui devient viscérale au fur et à mesure.

2 commentaires

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Très belle chronique de ce livre, qui a été pour ma part un peu moins bouleversant et dont la lecture a été apparemment un peu moins « happante ». Cette œuvre de Victor LaValle, en plus de se suffire à elle-même, est également une reprise de la nouvelle de HP Lovecraft (pour lequel la dédicace de début de livre précise l’état d’esprit de l’auteur) « Horreur à Red Hook », projet de réadaptation qui offre ainsi des pistes supplémentaires d’interprétation. Il existe déjà beaucoup de critiques disponibles en ligne s’intéressant à la comparaison entre les deux œuvres et au travail impressionnant de réécriture de Victor LaValle qui détourne le récit ouvertement raciste de Lovecraft, centré sur le Détective Malone dans la nouvelle initiale que l’on retrouve dans la seconde partie de la Ballade de Black Tom, pour démontrer toute la bêtise issue de ses préjugés et surtout de son ignorance du quotidien des minorités.

    Cette contextualisation m’a personnellement aidé à comprendre un des enjeux centraux de l’œuvre : le soutien univoque des minorités à l’avènement d’une entité destructrice supérieure, en opposition à la terreur qu’elle inspire à la majorité blanche dominante. Mais ce soutien prend tout son sens à l’aune de la mythologie Lovecraftienne qui s’appuie sur l’angoisse profonde d’être confronté et sous le joug de puissances maléfiques cosmiques totalement indifférentes à l’espèce humaine. En ce sens, ce cauchemar d’insignifiance de la majorité dominante devient ainsi attrayant pour les minorités qui fuient justement leur exposition permanente et le violent, constant rappel de leur condition de minorité par les différentes formes que revêt le racisme sociétal et institutionnel, souhaitant simplement être enfin libérées de l’intérêt malsain qu’elles suscitent.

    Voilà pour ma contribution à l’analyse de cette œuvre qui mérite d’être lue et surtout discutée !

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