Revue lecture #1 : Réparer les vivants - Maylis de Kerangal


Il y a quelques temps, un titre a attiré mon regard sur les étagères de ma librairie. "Réparer les vivants"... titre intriguant et fort, image d'un plongeon dans l'océan, j'ai suivi mon intuition et je l'ai acheté. 

Je m'aperçois que cela fait trop longtemps que je ne me suis pas plongée dans un roman, je ne le fais pas assez, puissé-je le faire chaque jour car renouer avec la lecture fictionnelle via le livre de Maylis de Kerangal a été un bonheur intense, un parcours beau et cru, dense. Histoire d'une mort et de toutes les vies que cette dernière fragmente autour d'elle, celle des proches, celle des hospitaliers et celles des inconnus qui se croisent. 

Je tenais beaucoup à vous en proposer une critique, en espérant que vous vous laissiez également tenter par le récit de cette aventure humaine. Une aventure belle et d'une intensité hors norme.

R E S U M E 

"Le coeur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps"

Réparer les vivants est le roman d'une mort et de tout ce qui se précipite une fois le diagnostic posé. Simon, 20 ans, est déclaré en état de mort cérébral par les médecins, s'ensuit sur quelques heures le télescopage de plusieurs êtres autour de ce corps sans vie. 


M O N   A V I S

Réparer les vivants est un roman qui m'a d'abord déroutée. Le style choisi par l'auteur, fait de très longues phrases entrecoupées d'une multitudes de virgules très rapprochées, rendait pour moi le récit trop haché, je ne parvenais pas à rentrer dans le texte et à me laisser emmener par les personnages. Cependant, s'accrocher vaut le coût car ce style peu ordinaire a pris tout son sens après les dix premières pages. Avec toutes ses virgules, coupé en tous petits morceaux, ce texte est le réceptacle de toutes les pensées et émotions qui percutent les personnages. Nous sommes ainsi au plus proche de leur essence, de ce qu'ils traversent. L'auteur s'est en effet débarrassée d'un rythme plus conventionnel pour retirer un voile comme trop épais entre l'intérieur des personnages et le lecteur.

Ce roman, c'est exactement ça : une traversée de mondes intérieurs. Le lecteur traverse et se loge dans l'esprit et le coeur de la mère de Simon, puis de son père, du chef de Réanimation, de l'infirmier coordinateur des greffes... Par touches impressionnistes, par éclats, on accède aux pensées profondes et aux émotions brutes qui s'entrechoquent. L'auteure va ainsi au coeur, nous donne à sentir avec une justesse et un dépouillement pour moi très nouveau l'humanité de ses personnages. Une intensité incroyable en ressort. Il m'a parfois fallu poser le livre tant mon émotionnel se calibrait avec intensité sur celui bouleversé des personnages.

Et le trésor du livre de Maylis de Kerangal, ce sont justement ses personnages. D'une situation déjà maintes fois explorée, des parents qui perdent un enfant, elle crée des êtres loin des stéréotypes, loin des profils attendus. Non pas que ses personnages aient des vies extraordinaires mais leur singularité est saisie par le flot de pensées que retranscrit l'auteure, par des détails de leur vie qu'elle découpe au vif. Il y a la force et la faiblesse, le drame et les tentatives de divertissement pour ne pas porter le poids du monde sur ses épaules. Il y a tout ce qui fait notre humanité : notre compassion et notre capacité à l'égocentrisme. Cela lui permet notamment d'aborder avec justesse un sujet qui me touche beaucoup : la question de l'humanisation ou de la déshumanisation des patients dans le monde hospitalier. Tout ça avec un ton juste, une poésie et une force d'écriture qui encore une fois m'épate.



D'un point de vue plus intellectuel, bien sûr, on aborde la question du don d'organe, ce que cela implique sur les différents plans : celui des proches, celui de l'éthique. On évoque la capacité de l'homme à repousser la mort : ce que cela comprend à la fois de beau et d'un peu retors. Sans jamais aucun cliché ni aucun jugement car le lecteur, toujours emmené de personnage en personnage, bénéficie de la vision de chacun d'eux, rendue à la fois intime et compréhensible par l'auteure.

Enfin, il s'agit là d'un dernier point très simple, ce livre est beau. Il y a une grande beauté qui se dégage du texte. Les mots qui tremblent de justesse et se fondent en nous, les personnages et les images invoquées. L'humanité est belle dans ce récit, belle parce que fragile mais courageuse jusqu'à l'espoir. Le sujet peut sembler plombant, le roman ne l'est en aucun cas. Au-delà de la beauté qui en ressort, il est même haletant car il s'agit d'une course contre la montre pour les organes de Simon. Et le style devient alors comme un souffle. Un souffle haché qui catalyse la tension. Je suis ressortie de cette lecture avec une énergie brute et lumineuse.


Avez-vous lu ce livre ? Est-ce qu'il vous tente ?

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